Par Nadia Dubé et Majorlaine Tremblay-Paradis
L’art engagé se définit au milieu du 20e siècle, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale et aux nombreux mouvements de libération des années 60-70-80. [1] Aujourd’hui, ce courant se caractérise plutôt comme étant l’art activiste. L’art activiste pourrait se définir par l’action directe ayant des répercussions sociales, politiques et est un terme dérivé du mot « Actif », du verbe agir, il propose l’action. [2] Le verbe « s’engager », quant à lui, s’explique comme s’engager à agir, intervenir. [3]
L’art a peut-être pour but d’évoquer, de témoigner, ou de souligner. L’art activiste souvent va questionner, proposer parfois jusqu’à ébranler. La performance, l’art interactif, les manifestations peuvent notamment faire partie des techniques utilisées dans ce courant afin de permettre de nouveaux lieux d’échanges et d’ouverture.
Cette démarche soumet une réappropriation de la justice, met en valeur les voix des personnes les plus marginalisées, et ouvre la porte à chacun.e sur des dialogues afin de repenser nos politiques. Dans un monde où dire ce que l’on pense n’a jamais été aussi accessible grâce aux plateformes médiatiques. Les artistes activistes proposent de nouveaux réseaux, des œuvres sociales, où le public permet à l'œuvre de vivre dans sa plus grande portée.
La Biennale nationale de sculpture contemporaine met en scène des artistes aux discours variés. Pour cette dixième édition, et en suite à notre introduction sur l’art activiste nous nous penchons sur l’artiste Sheena Hoszko, activiste, colonialiste et artiste anti-prison.
En ce qui concerne la démarche de Sheena Hoszko, l’artiste cherche à promouvoir l’abolition des prisons tout en traitant d'enjeux territoriaux, sociaux et militaires. [4] Son approche est multidisciplinaire, passant par la sculpture, la performance, la vidéo et l’écriture [5]. Dans un texte commissarié de l’œuvre « 35+ prisons au Québec » pour le musée d’art de joliette, Anne Marie St-Jean-Aubre témoigne de la subtile tangente qui définit le travail d’Hoskzo :
« Hoszko s'éloigne de la représentation figurative pour se concentrer sur la propre expérience physique du spectateur avec son travail. Si l'espace est une dimension essentielle pour tout sculpteur - et au cœur de la recherche artistique d'Hoszko - c'est la façon dont elle l'utilise qui rend son approche des questions politiques qu'elle aborde si unique. » [6]
Dans sa recherche engagée, elle garde tant un point de vue actuel qu’historique. À titre d’exemple, sa détermination à mettre en lumière les injustices du domaine carcéral l’a poussée à se procurer les lignes directrices sur le logement du service correctionnel du Canada : établissement de santé mentale afin de s’en servir pour mettre en lumière les failles du système à travers une œuvre sculpturale. [7] L’artiste a également écrit un texte par lequel elle raconte l’histoire de Peter Collins, un prisonnier qui termina ses jours en prison en raison de ses œuvres dénonçant les conditions des incarcérés. [8]
Hoszko a misé sur la collaboration dans le milieu de l’art activiste, et ce, même à l’étranger. En 2019, elle a fait partie de l’exposition Take Care, à la Cité Internationale des arts, à Paris, explorant le concept du “Care” dans le contexte français et réunissant des artistes ayant eux aussi une approche activiste et sociale. [9] Elle a également eu plusieurs expositions solos telles que TBA (3127.space, NY, 2021), Bâches Bleues Against Harm (Fondation Phi, Montréal,2020), Prisons in Québec (Musée d’art de Joliette, Joliette, 2018), Approximations (Rez-de-Chaussée Gallery, Glasgow, 2012) et Your Name in Lights ( Helen Pitt Gallery, Vancouver, 2004). [10]
Le partage et l’échange d’informations étant des valeurs importantes de l’artiste, celle-ci a donné de nombreuses conférences au Canada et à l’étranger. Par le biais de ses présentations, elle traite de sujets interreliés tels que la relation entre l’art et l’activisme, la notion du Care, l’impact des frontières territoriales, le féminisme, le racisme, la santé mentale et sa position Anti-prison. [11] Aussi, l’artiste est mentionnée dans plusieurs articles de presse (dont l’édition Cellules du Sabord, Revue hybride de création littéraire et visuelle implantée à Trois-Rivières) [12] et a participé à plusieurs entrevues, dans lesquelles elle défend la pertinence de son combat et fait connaître des organisations donnant une voix aux prisonniers, tels que le Demand Prisons Change et le Prisoner Correspondence Project. [13]
La conscientisation est un concept clé dans le travail de l’activiste. En plus de chercher à transmettre ses idéologies Anti-Prison, elle reconnaît l’importance du respect du territoire et la violence qui imprègne certains lieux géographiques est une motivation cruciale dans sa démarche. [14] De même, consciente de ses origines et des impacts de la colonisation, elle tient à se présenter en tant que colonisatrice. [15]
L’œuvre présentée par Hoszko dans le cadre de cette biennale est constituée de bannières affichant la question : « Il en coûte 125 466 $ par an pour garder une personne en prison. Quelle autre sorte d'institutions construiriez-vous à la place? ». Par ses airs minimalistes, elle suscite des questionnements quant au statut de sculpture, poussant le spectateur à réfléchir à ses dimensions sociales et à ce qui lui rend son efficacité.
Malgré son aspect bidimensionnel, l’installation se déploie de manière tridimensionnelle par les réflexions qu’elle génère et qui habitent l’espace d’exposition. Des papiers autocollants, des crayons et un banc sont mis à disposition des spectateurs. Cela incite à échanger leurs différents points de vue, l’écrire sur les notes, puis les apposer sur un mur blanc parallèle aux bannières.
Différentes réponses à la question ont été disposées au mur. Certaines abondent dans l’esprit de la question, qui ne sous-entend pas nécessairement une abolition totale des prisons, mais plutôt une transformation de cette institution, voire une alternative au milieu carcéral, et proposent des lieux considérant l’importance de la collaboration, de la réparation, de la réinsertion en société, du pardon, et des services psychosociaux. D’autres personnes interprètent que celle-ci suggère que l’argent investi dans le domaine carcéral est trop élevé et qu’il devrait être investi ailleurs comme dans l’industrie agroalimentaire, dans les maisons de retraite, dans l’industrie pétrolière ou dans le domaine du divertissement. Il arrive également que certaines réponses affichent une certaine indifférence ou fermeture face à la question.
Pour conclure, il est difficile de comprendre l’intention cachée derrière la question de Sheena Hoszko sans connaître la nature de son combat. Cela explique la variété de réponses, qui ne vont pas nécessairement dans le même sens que les idéologies de l’artiste. La majorité d’entre elles n’offrent peut-être pas de solutions concrètes à la désuétude du domaine carcéral, mais il ne peut pas être affirmé que l’œuvre est inefficace pour autant. En effet, la variété des opinions, voire même la résistance face à la question, témoigne de la pertinence du combat de l’artiste et de la nécessité de continuer de sensibiliser la population pour faire évoluer les mentalités concernant les conditions en prison.
[1] Guy Debord, un art de la guerre / Guy Debord, un art de la guerre, Bibliothèque nationale de France, Paris, 27 mars au 13 juillet 2013
[2] Activisme. Dans Larousse. Consulté le 27 août 2022. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/act...
[3] S’engager. Dans Larousse. Consulté le 27 août 2022. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/eng...
[4] S.A, “Sheena Hoszko – about”, dans S.A., site officiel de Sheena Hoszko, date de parution inconnue [en ligne] https://www.sheenahoszko.com/about (page consultée le 5 août 2022)
[5] S.A, “Sheena Hoszko – CV”, dans S.A., site officiel de Sheena Hoszko, date de parution inconnue [en ligne] https://www.sheenahoszko.com/cv2022(page consultée le 5 août 2022)
[6] Musée d’art de Joliette, « Sheena Hoszko – 35+ prisons au Québec », dans Musée d’art de Joliette., site officiel du musée d’art de Joliette, date de parution inconnue [en ligne] https://www.museejoliette.org/fr/expositions/sheena-hoszko-35-prisons-du-quebec/ (page consultée le 5 août 2022)
[7] The new gallery, “Correctional Service Canada Accommodation Guidelines: Mental Healthcare Facility 10m2 x 2”, The new gallery, site officiel de the new gallery, [en ligne] https://thenewgallery.org/Correctional-Service-Can...(page consultée le 5 août 2022)
[8] Sheena Hoszko, “Of Birds, Ointments, and Care: How Peter Collins’ Artworks Kept Him in Prison” dans Hoszko, Sheena, site officiel du Magazine Mice, date de parution inconnue, [en ligne] https://micemagazine.ca/issue-two/birds-ointments-...’-artworks-kept-him-prison (page consultée le 5 août 2022)
[9]S.A, « Rencontre – Art, Care and Prison Abolition – Sheena Hoszko », dans S.A., site officiel de la cite internationale des arts de Paris, 11 mars 2019, [en ligne] https://www.citedesartsparis.net/fr/art-care-and-prison-abolition-sheena-hoszko (page consultée le 5 août 2022)
[10] S.A, “Sheena Hoszko – CV”, dans S.A., site officiel de Sheena Hoszko, date de parution inconnue [en ligne] https://www.sheenahoszko.com/cv2022(page consultée le 5 août 2022)
[11] Leah Sandals, “Sheena Hoszko – building prisons in order to destroy them” , dans Sandals, Leah, site officiel de Canadianart, 25 janvier 2017, [en ligne] https://canadianart.ca/interviews/sheena-hoszko/ (page consultée le 5 août 2022)
[12] S.A, « COLLECTIF – Art le Sabord #121 Cellules » dans S.A., site officiel de Renaud Bray, date de parution inconnue , [en ligne] https://www.renaud-bray.com/livres_Produit.aspx?id=3679981&%3Bdef=art-le-sabord-121-cellules,collectif,9782924085585 (page consultée le 5 août 2022)
[13] Leah Sandals, “Sheena Hoszko – building prisons in order to destroy them” , dans Sandals, Leah, site officiel de Canadianart, 25 janvier 2017, [en ligne]https://canadianart.ca/interviews/sheena-hoszko/ (page consultée le 5 août 2022)
[14] BNSC, « Sheena Hoszko », dans BNSC, site officiel de la Biennale Nationale de Sculpture Contemporaine à Trois-Rivières, date de parution inconnue, [en ligne]https://www.bnsc.ca/7445-sheena_hoszko (page consultée le 5 août 2022)
[15] Idem