Thématique Oui, dire !
Vers une mise en action du ouï-dire
À notre époque, la distribution du savoir ne semble plus uniquement garante d’institutions contingentes et légitimes; elle semble également s’opérer au sein des formes du ouï-dire.
Le ouï-dire, dans sa définition législative, est un témoignage introduit par un tiers, en l’absence du témoin initial, afin d’établir la véracité des faits. Autrement dit, la preuve est basée sur les propos d’un individu, dans l’oralité, qui n’a pas été personnellement témoin de la situation. Selon Spinoza, le ouï-dire est la première forme de connaissance. Il s’agit des opinions courantes. Le ouï-dire se réfère à la croyance populaire ou aux idées reçues qui sont répétées sans être vérifiées par la raison ou l’expérience. Il demande parfois de faire confiance aveuglément en une donnée que nous ne pouvons pas vérifier.
Les ouï-dire sont ces rumeurs, ces on-dit et ces histoires qui se propagent dans la société et influencent notre perception, nos croyances, notre réalité, nos espaces. Ils se forment entre autres par des choix de mots, des erreurs terminologiques qui s’insèrent dans le discours, dans les paroles, lors de la transmission de récits, lors de la traduction de situations. Ils sont une distorsion, voire une mutation de l’idée ou de la situation initiale. Ils usent de fragments pour proposer des paraphrases. Ils ajoutent ou soustraient à la vérité, ou encore, ils exploitent une idée secondaire ou sous-jacente au profit de l’idée principale. Ils peuvent même se former dans le silence (non-dire). En somme, comment les ouï-dire interviennent sur les mémoires collectives, les légendes urbaines, la manipulation des informations dans les différents types d’espaces (physiques, médiatiques, réseaux sociaux, etc.)? Quel est l’impact de ces séries de traductions?
Si les ouï-dire peuvent parfois mener à l’imposture et à la tromperie, ils ont aussi la capacité de faire réfléchir, de transformer les histoires et d’y autoriser la spéculation, la fabulation, voire l’imagination d’une nouvelle réalité, l’élévation de voix et de nouvelles possibilités pour le futur. Surtout, les ouï-dire favorisent les échanges collectifs, l’écoute de l’autre, dans un dialogue qui n’est pas conçu en circuit fermé, mais qui, au contraire, introduit sans cesse de nouveaux et nouvelles interlocuteur.rice.s.
Cette 11e BNSC souhaite interroger la manière dont le ouï-dire, par ses possibilités de traduction et de transmission, peut s’avérer un moyen d’incarner de nouvelles formes d’apprentissage, hors des habitudes de transmission de connaissances imposées par les institutions de pouvoir issues du modernisme et des relents de l’impérialisme. Est-ce que les ouï-dire peuvent servir l’argumentaire, la compréhension des situations plutôt que de freiner une certaine pensée critique? Comment ce modèle de transmission – de bouche à oreille – est-il susceptible d’influencer les modèles de fonctionnement de nos sociétés et de nous amener à réfléchir la situation autrement ? N’est-ce pas là un outil pour invoquer de nouveaux futurs? Quels rôles jouent réellement les ouï-dire actuellement dans notre société? Comment les écoute-t-on? Comment sont-ils un moyen de proposer des formes d’action? Comment les discours produits ont-ils un impact concret sur les pensées et poussent au faire et à l’agir?
Les oeuvres des artistes représenté.e.s par la BNSC 2024 ne se limitent pas à dénoncer, soit à dire une chose. Les artistes mettent en espace, en images et en sons des traductions, des altérations de discours existants. Les réflexions que suscitent ces oeuvres nous engagent dans le changement, dans le geste même. Elles nous amènent à « propager la rumeur ».
Texte de Karine Bouchard, historienne de l’art et membre du comité d’orientation artistique et de sélection de la BNSC 2024.
Texte inspiré des échanges entre les membres du comité : Audrey Labrie, co-commissaire, directrice générale et
artistique de la BNSC, historienne de l’art; Anne-Marie Lavigne, artiste, directrice générale et artistique de l’Atelier
Silex; Guylaine Champoux, artiste, chargée de cours à l’UQTR et Alex Poulin, artiste et coordonnateur artistique de la
BNSC.
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