Thématique 2022

Marche, démarche, manœuvre

Faisant éclater les conventions de la sculpture, certains artistes actuels envisagent nos relations humaines comme des matières malléables, au même titre que les environnements qui les accueillent ou les objets qui y transigent. Par la mise en place de processus exploratoires et performatifs, voire furtifs ou éphémères, ces œuvres résistent aux impératifs des résultats quantifiables et des impacts mesurables. En refusant d’être visibles à tout prix, elles choisissent plutôt d’honorer les rencontres que l’art rend possibles. D’autres artistes choisissent d’entrer directement en rapport avec la matière, employant des méthodologies ouvertes et spéculatives inspirées par les nouveaux matérialismes ou fondées sur des mythologies personnelles. Cet engagement matériel passera parfois par un désir de partager des savoir-faire trop longtemps évacués par l’art contemporain, ou encore par une envie d’explorer les contours de certaines technologies.


Ces démarches variées (jusqu’à sembler en opposition les unes aux autres) ont pourtant un important point commun : elles questionnent directement les hiérarchies sociales et politiques établies et font voir des préoccupations qui débordent de l’écosystème artistique pour traverser entièrement nos sociétés actuelles. En somme, ces démarches s’envisagent comme des manœuvres : des gestes individuels et collectifs identifiant des façons de faire, de transmettre et d’échanger; des systèmes à inventer; des espaces à dégager. Avec ces manœuvres, les artistes pourront imaginer autrement le monde: revendiquer des possibles, renégocier nos conditions de vie, redéfinir nos rapports. S’engager dans un temps long, qui reconnaît l’urgence sans céder à la crise. Se mettre en marche.


À cet effet, la marche apparaît comme l’un des gestes les plus éloquents de l’expérience contemporaine. Elle fait image, pour se lier tour à tour au social, à l’économique, au spirituel ou à l’organique. Pratiquée, elle ne se comprend plus comme un pur loisir, traçant un espace de liberté qui réintègre des besoins fondamentaux, trop longtemps négligés: prendre l’air, prendre le temps, prendre soin de soi et des autres. Elle se déploie dans un espace-temps sans frontière, selon son propre rythme ou selon celui des saisons. Elle se reconfigure constamment par des nouveaux parcours, trajets ou errances. Entreprise avec intention et attention, elle établit une durée qui nous éclaire ou qui nous brouille.


Ainsi, lors de sa dixième édition, la Biennale nationale de sculpture contemporaine de Trois-Rivières invite les artistes en art actuel à réfléchir depuis leurs propres dé/marches pour déterminer des chemins à venir; pour créer des espaces dans lesquels manœuvrer le monde.



Texte de Daniel Fiset, historien de l’art et membre du comité d’orientation artistique et de sélection de la BNSC 2022.


Texte inspiré des échanges entre les membres du comité : Audrey Labrie, directrice artistique de la BNSC, historienne de l’art; Lynda Baril, directrice générale de la BNSC; Anne-Marie Lavigne, directrice générale et artistique de l’Atelier Silex; Guylaine Champoux, artiste, chargée de cours à l’UQTR et Louise Paillé, artiste, historienne de l’art.





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